En lumière
COVID-19 : Pas de quarantaine pour les LGBTQI-phobies
publié le 17 mai 2020
Il y a exactement 30 ans, le 17 mai 1990, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), actuellement sur le devant de la scène dans la crise de la Covid 19 (pour Coronavirus Disease 2019), retirait l’homosexualité et la bisexualité des « maladies mentales » dans sa Classification internationale des maladies (CIM). Il faudra cependant attendre 2018 et le « CIM 11 », pour que les transidentités soient finalement exclues de ce cadastre, tout en entretenant toujours dans leur littérature de larges confusions entre sexualité et identités de genre.
Le 17 mai est donc devenu une date symbolique à travers le monde, célébrée dans plus de 130 pays, surtout depuis qu’elle a pris la forme de IDAHOBIT (International Day Against Homophobia, Transphobia, Biphobia and Intersexphobia), en 2005, sous l’impulsion de l’universitaire et militant LGBTQI+ et antiraciste Louis-Georges Tin.
La Belgian Pride, parmi les plus grands événements en Belgique, brassant plus de 100 000 personnes et initialement prévue le 23 mai 2020 ne pourra finalement avoir lieu à la date fixée pour des mesures de sécurité évidentes. Ironie du sort, le thème de cette année était « We Care », pour mettre la focale sur la santé mentale, physique et sexuelle des publics LGBTQI+. Les Pride sont des rendez-vous indispensables qui mettent à l’honneur des citoyen.ne.s encore trop souvent invisibilisé.e.s, nié.e.s dans leurs droits fondamentaux et discriminé.e.s dans leur quotidien. Elles permettent d’attirer l’attention de la société civile et du monde politique sur les inégalités de traitement toujours bien présentes, les agressions ou encore les difficultés du coming out, ce qui nous paraît particulièrement nécessaire en ce moment.
En effet, les périodes de crise, de récession économique ou de traumatismes collectifs mènent inévitablement à l’aggravation des inégalités sociales et à la recherche de boucs émissaires. Ces derniers sont souvent issus de minorités, qu’elles le soient en termes de pouvoir et/ou de nombre, plus faciles à montrer du doigt d’un point de vue pratique et symbolique. C’est le cas des femmes, des personnes LGBTQI+ ou encore des citoyen.ne.s prétendument ou réellement immigré.e.s.
L’occasion, donc, pour une multitude de personnages publics d’exprimer à nouveau leur LGBTQI-phobies voire d’instrumentaliser cette période difficile à l’encontre de cette communauté. Sans surprise, la crise sanitaire de la Covid 19, avec son lot de traitements médiatiques anxiogènes et de confinements difficiles, qui ont assigné à résidence plus de 3 milliards d’êtres humains les privant d’innombrables soupapes et services, a également mené à d’importantes manifestations de haine LGBTQI-phobes par le voisinage, la famille ou la société en général. Ces deux griefs agissent comme un serpent qui se mord la queue, un cycle qui s’autoalimente, la parole des premiers légitimant la violence perpétrée par les seconds.
Sinistre tour d’horizon LGBTQI-phobes de morceaux choisis.
Ainsi, le pasteur Steven Andrew, de l’Église chrétienne évangélique américaine ou l’animateur radio, également pasteur autoproclamé, Rick Wiles, affirmaient récemment que ce coronavirus était une punition divine pour éradiquer le péché d’homosexualité et que le mois de mars serait « celui de la repentance LGBT » (1) (2). Monseigneur Léonard, prélat de Belgique avait eu des propos similaires concernant le VIH / SIDA, en 2010, qu’il considérait comme une « justice immanente » , propos pour lesquels il n’a par ailleurs jamais été condamné.
Dans un même style, Ralph Drollinger, également pasteur américain, proche du cabinet de Donald Trump, expliquait il y a quelques semaines que l’épidémie vient punir « l’inclinaison de la société au lesbianisme et à l’homosexualité » , insistant au passage sur « la faute de la Chine » et « la religion de l’environnementalisme » (3) (4) (5). Le Samaritan’s Purse Emergency Field Hospital installé dans Central Park à New York et dirigé par le très conservateur révérend Franklin Graham, faisait également l’objet de lourds soupçons de traitement inégaux pour les malades et employé.e.s LGBTQI+ (6).
Petit variante pour l’Imam sénégalais Arabi Niass de la mosquée Léona Niassène, à Kaolack, qui expliquait lui aussi qu’il s’agissait d’une punition divine, s’en prenant aux autorités sénégalaises qui accueillent des « étrangers faisant la promotion de l’homosexualité ».
Au même moment, à Marseille, en France, un aide-soignant et son compagnon recevaient une lettre anonyme leur enjoignant de « quitter la résidence parce que nous savons que les homosexuels sont les premiers à être contaminés ». Procédé identique pour le jeune humoriste réunionnais Tony Baêty dont le courrier, toujours pas signé, présentait « les PD » comme « premiers contaminés », ou chez un Nîmois de 38 ans pour qui le message dactylographié précisait notamment « Nous n’avons rien contre les homosexuels mais nous savons que vous serez porteurs avant les autres comme le sida l’a été » (7) (8).
Toujours en mars 2020, le rabbin Meir Mazuz, connu pour ses positions homophobes et ultra-nationalistes affirmait que tous les pays touchés par cette pandémie le sont afin de rendre des comptes face aux Prides qu’ils organisent, à l’exception des pays arabes, qui n’ont pas, selon lui, ce « penchant diabolique », ce qui est factuellement et doublement faux (9).
Au Ghana, où une loi interdisant les pratiques homosexuelles persiste toujours depuis l’époque coloniale britannique, le Sheikh Osamanu Sharubutu a saisi l’occasion pour rappeler l’aspect démoniaque et honteux de l’homosexualité, tandis que le Sheikh Amin Bonsu rappelait aux croyants de se repentir de leur péchés face à la crise sanitaire, particulièrement les plus « abominables » que sont «l’homosexualité, le lesbianisme et les personnes transgenres » (10) (11).
Le Parlement hongrois adoptait quant à lui le 30 mars dernier, une « loi exceptionnelle coronavirus » octroyant de considérables pouvoirs à l’exécutif, permettant à son premier ministre Viktor Orbán de gouverner par ordonnances. Alors qu’il avait interdit l’accès à tout demandeur.euse d’asile à l’arrivée de la pandémie en Europe accusant les réfugié.e.s de « diffuser la maladie », voilà que surgissait concomitamment un nouveau projet de loi, le soir même de la Journée internationale pour la visibilité trans*, déposé par le vice-premier ministre Zsolt Semjé, imposant la mention du « sexe à la naissance » sur les documents officiels, niant ainsi la véritable identité de genre des personnes trans* et les confrontant à de grandes prises de risques lors de toute démarche officielle. Notons qu’en outre la Hongrie ne participe plus au concours Eurovision de la chanson depuis cette année, jugeant les valeurs véhiculées par l’événement “trop pro-LGBTQI+” (12) (13) (14).
Alors que se terminait le mois d’avril, Jair Bolsonaro, le président brésilien qui partage avec Donald Trump une fâcheuse tendance à l’outrance sur les réseaux sociaux et une grande hostilité quant à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), déclarait, à propos de la célèbre agence de l’ONU, qu’elle incite les enfants à la masturbation et à l’homosexualité (15). N’étant pas à son coup d’essai, il reprenait par là le sempiternel refrain associant les LGBTQI+ à de la perversion, un amalgame au moins aussi vieux que Krafft-Ebing et son célèbre Psychopathia Sexualis (1886).
Tandis que les associations LGBTQI+ au Moyen-Orient et en Afrique du Nord étaient contraintes de continuer leurs consultations par échanges téléphoniques discrets, tout en alarmant sur l’augmentation de celles-ci (16), Sofia Talouni, “influenceuse” transgenre et marocaine, basée en Turquie, secouait le royaume chérifien, où les pratiques homosexuelles restent également illégales, en “outant” plusieurs LGBTQI+ et en appelant vertement à leur lynchage. Elle expliqua ainsi comment se créer un faux profil sur différentes applications et retrouver les hommes gays et bisexuels aux alentours. Motivée semble-t-il par des raisons pécuniaires et politiques, sa délation et ses incitations à la haine ont déjà mené à de multiples expulsions de foyer et autres menaces de mort, dénoncées entre autre par l’auteur marocain homosexuel Abdellah Taïa, et allant jusqu’à pousser un jeune homme au suicide, comme le relatait le journaliste Hicham Tahir (17) (18).
Enfin, début mai, l’on découvrait un nouveau “cluster” d’au moins une centaine de contaminations au coronavirus du quartier d’Itaewon, à Séoul, largement fréquenté par les noctambules sud-coréen.ne.s, plus particulièrement LGBTQI+. Les soupçons de l’origine de cette nouvelle propagation, aujourd’hui contestés, se portaient préalablement sur un jeune homme de 29 ans, ignorant qu’il était infecté, et qui aurait passé la soirée dans différents bars et clubs gays. Ces hauts lieux des nuits de la capitale étaient alors légalement rouverts en imposant certaines règles strictes d’hygiène et de distanciation sociale. Rapidement, la communauté LGBTQI+ s’est retrouvée clouée au pilori par la presse et la population, dans un pays où l’homo-bi-trans-phobie reste vivace. Ses membres craignent désormais d’être traqué.e.s et révélé.e.s par les nouveaux systèmes de surveillance, de par leurs déplacements et contacts, d’être pareillement dénoncé.e.s dans les cercles familiaux ou à leurs employeur.euse.s et certains citoyen.ne.s reçoivent déjà insultes et chantage par le biais de faux comptes sur des sites de rencontre (19).
Aujourd’hui même si certaines régions du monde sont davantage épargnées ou que de plus en plus de lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queer et intersexes vivent dans des contextes plus confortables, le monde est plus globalisé que jamais et les conséquences des prises de parole LGBTQI-phobes qu’elles soient politiques, religieuses ou sociétales peuvent rapidement agir comme des dominos, franchissant les frontières, sautant les classes sociales à coup de véhémence et de hashtags. Pour ce 17 mai 2020, la RainbowHouse Brussels voulait réaffirmer sa solidarité avec ses soeurs, frères et autres de toute la planète, parce que les LGBTQI-phobies, elles, ne connaissent pas la crise.
Sources :
(1) https://www.advocate.com/religion/2020/3/06/coronavirus-punishment-lgbt-sin-says-far-right-pastor
(2) http://christiannewswire.com/news/107683567.html
(3) https://capmin.org/ministries/washington-dc/white-house-cabinet-sponsors/
(4) https://capmin.org/is-god-judging-america-today/
(6) https://theintercept.com/2020/03/24/trump-cabinet-bible-studies-coronavirus/
(9) https://fr.timesofisrael.com/un-rabbin-attribue-lepidemie-de-virus-aux-marches-des-fiertes/
(12) http://www.slate.fr/story/189282/hongrie-fin-reconnaissance-genre-personnes-trans-loi-coronavirus
(13) https://tetu.com/2020/04/02/la-hongrie-profite-du-coronavirus-pour-sattaquer-aux-droits-des-trans/
(14) https://tetu.com/2019/11/28/la-hongrie-se-retire-de-leurovision-car-le-concours-serait-trop-gay/
(16) https://www.openlynews.com/i/?id=0880b357-da90-43a4-8ac7-36009a699482
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publié le 3 mai 2017